Non à la suppression de la qualification par le CNU

Electron libre

/ #636 Réponse à "#585 Re: les articles d'Einstein "

2013-06-26 02:25

"je ne suis pas certain que se prévaloir des critiques, nombreuses et valides, à adresser au système en place, pour laisser passer, et, ici favoriser, une réforme qui les laissera en place, ou pire. Force est de constater qu'à l'Université, comme dans le social, le repli défensif n'est pas la bonne réponse, ni la seule, à la crise de l'Enseignemnt Supérieur."

Je suis d'accord avec l'idée de l'inefficacité du "repli défensif". Par contre, je ne vois pas en quoi soutenir le maintien du principe de la qualification permettra de changer les choses car les critiques que j'ai formulées me conduisent à penser que cette qualification est un des éléments du problème de l'enseignement supérieur.

Confier au CNU une mission d'évaluation pourquoi pas mais à condition, par exemple qu'il puisse intervenir ne serait-ce qu'en tant qu'arbitre pour les faux concours où le poste est super fléché et où seul manque le nom de celui qui a déjà été choisi avant la publication du profil de poste. Mais cela ne pourrait se faire que si (s'agissant de ce qui concerne les sections scientifiques car j'ai encore moins de compétences pour évoquer le cas des autres sections) :
- on dépoussière la classification CNU ;
- les sections communiquent sur le contenu réel attendu pour les dossiers (sans rien occulter) et sur les critères retenus pour qualifier ou non un candidat, idéalement avant l'ouverture de la session de qualification (sans oublier un bilan de la campagne passée) ;
- on ne rejette pas d'emblée ce qui ne s'inscrit pas dans la "voie" que suivent les rapporteurs voire la majorité de la section et que l'on fait preuve d'ouverture d'esprit car ce sont les travaux originaux qui peuvent apporter quelque chose de vraiment intéressant pas les resucées ou les développements mathématiques de cas de plus en plus particuliers voire de moins en moins reliés aux phénomènes physiques à l'œuvre ;
- on regarde non pas le nombre de publications (surtout quand on a affaire aux spécialistes du saucissonnage à l'anglo-saxonne ou aux collectifs d'auteurs multipliant assez artificiellement le nombre de publications de chacun des membres de l'équipe) mais leur intérêt effectif et leur lien avec les phénomènes potentiellement à l'œuvre ;
- on prend effectivement en compte les activités d'enseignement puisqu'un enseignant-chercheur doit aussi être en mesure d'enseigner et que c'est dramatique de confier un amphithéâtre à quelqu'un qui est un bon chercheur mais un très mauvais pédagogue d'autant plus s'il n'est pas du tout formé ;
- on trouve le moyen de limiter les règlements de compte, les baronnies et les soutiens politiques.


"Avons-nous en France une croissance dela population universitaire à la mesure du recul, en 10 ans, de la France de 2ème à la 11ème place pour la recherche?"

Probablement pas en effet. Mais encore une fois je ne pense pas que c'est la qualification par le CNU qui changera cette donne. En étant cynique (?), on pourrait même proposer que la disparition de la qualification permette l'augmentation de la population universitaire, non ?

Je crains qu'il faille plutôt chercher des explications par exemple du côté :
- du déclassement des enseignants et donc, par suite, des chercheurs et des enseignant-chercheurs ;
- de la diminution des opportunités d'emplois dans l'enseignement supérieur et la recherche pour les jeunes ;
- de la diminution des budgets propres des structures au profit de programmes tels que ceux de l'ANR sur des sujets fléchés quand ces budgets ne sont pas "pré-attribués" pour des raisons multiples qui n'ont souvent qu'un lointain rapport avec une analyse objective des projets proposés ;
- du désir des politiques de mettre sous tutelle la recherche pour que ses résultats coïncident avec le temps politique (donc des durées inférieures à un mandat politique) ;
- du choix politique de permettre aux entreprises d'aller faire leur marché dans les "labos" pour palier leurs carences en R&D, comportement encouragé par les "crédits impôts recherche", "grands emprunts" et autres nouvelles missions telles que la valorisation ou le transfert technologique qui deviendront vraisemblablement vite des obligations ou des critères d'évaluation "AERES", "ANR" ou "CNU" si cette institution n'est pas supprimée ;
- de la dynamique de compétition à outrance entre les équipes au sein d'un même laboratoire, les laboratoires, les instituts ou les universités qui ne permet pas des échanges réels (et cela ne date pas d'hier d'après ce que j'ai pu observé dans ma discipline) et ne fait pas vraiment avancer la connaissance ;
- du temps passé à faire de la paperasse (projets, dossiers, ...) pour obtenir des budgets ridicules au mieux ou parce que si on ne postule pas à certains appels à projet (en sachant qu'on ne décrochera rien) on sera mal évalués et/ou que l'on ne pourra pas postuler à d'autres appels d'offre qui pourraient déboucher eux sur l'obtention de budgets tandis qu'ailleurs on consacre ce temps à la recherche ou à la publication des résultats ;
- on ne fait plus l'effort de communiquer dans notre langue car ce n'est pas pris en compte pour les évaluations (sans parler de la vulgarisation, quelle horreur !) ;
- du décrochage entre le "vulgus pecus" et le chercheur de plus en plus hyper-spécialisé ;
- de la participation à l'entreprise qui consiste à prendre le "vulgus pecus" pour un con en soutenant les argumentations politiques et économiques (cf. certains scandales sanitaires ou nucléaires, notamment) ou en s'abstenant de dire au moins qu'en l'état on ne sait pas quoi penser dans certains cas.


"A rapprocher de la promotion de sous médicaments au lieu de la recherche de molécules nouvelles pour enrayer la résistances des bactéries aux anti-B? La biologie, logée à la même enseigne, gagnerait à se joindre votre bataile. Et réciproquement."

C'est peut-être parce que l'on fait passer de l'inovation cosmétique souvent ou à la marge parfois pour de la recherche. C'est aussi peut-être parce que dépendant des industriels pour trouver des budgets qui ont été au mieux diminués au pire transférés à ces industriels, on accepte de participer à ce jeu de dupes.
Le pilotage de la recherche par le politique est vraisemblablement une erreur (euphémisme) et le "court-termisme" du financier (profit rapide et juteux) ou du politique (des résultats avant sa prochaine campagne) ne permet pas un vrai travail de recherche et donne encore moins le temps et les moyens nécessaires à la recherche fondamentale puisqu'entre une découverte, son acceptation par la communauté et souvent ces premières applications industrielles puis grand public il faut des dizaines d'années (cf. le laser et le GPS par exemple) durée qui n'est pas compatible avec la recherche de profit ou de "gadgets" à montrer à l'électeur pour être réélu.
Ce sont, me semble-t-il, plutôt des conséquences de choix politiques imposés, comme certains traités européens, contre l'avis du "vulgus pecus" et je crains que l'acceptation d'évaluations (ou d'auto-évaluations préalables) telles que celles que pratique l'AERES (en attendant le CNU pour les personnels voire d'une certaine manière déjà pour les procédures de qualification ?), l'adhésion au "publish or perish" qui plus est en "langue anglaise" dans les "bonnes revues" sont plus dommageables que la suppression de la qualification. On favorise le formatage des dossiers, des publications, des recherches et même de la pensée.

D'ailleurs, est-ce que les plus grandes avancées en sciences sont faites dans les structures regroupant des chercheurs qui pensent tous de la même façon, dans la même voie, suivant le même "dogme" ? Je crains que non suivant mon regard subjectif et certainement partiel sur l'histoire des sciences. Et, je ne vois pas en quoi la conservation de la qualification pourrait contribuer à changer les choses.
Selon moi, mais ce n'est qu'un avis isolé et/ou particulier, ce n'est pas sur la question de la qualification qu'il faut concentrer les énergies car ce n'est pas un outil suffisamment efficace, en l'état, pour améliorer la qualité de la recherche et de l'enseignement supérieur français car il ne permet pas de palier les problèmes tant en amont qu'en aval et pénalise, pour moi, vraiment les profils intéressants et de nature à apporter un souffle qui fait défaut en sciences (pas de vraies révolutions du niveau de la mécanique quantique ou des théories de la relativité par exemple, même si ces constructions intellectuelles restent au minimum perfectibles).

D'accord pour proposer d'autres missions au CNU dont notamment la recherche et la promotion de l'ouverture d'esprit en sciences pour permettre de penser autrement et librement, sous réserve que les constructions trouvées soient un tant soit peu valides (mais est-ce que les théories des cordes, des branes, des D-branes, ... le sont effectivement, par exemple, alors que ce sont souvent les seules idées acceptées voire tolérées pour qui veut réussir à trouver un poste en France mais pas seulement ?).
D'accord aussi pour évaluer les enseignants-chercheurs mais pas à la mode "AERES" notamment en comptant les publications mais en auditionnant au besoin les personnes et en les écoutant sans a priori réducteurs. Je sais que cela coûterait cher mais au moins cela permettrait des échanges qui ont lieu de moins en moins ne serait-ce que dans les congrès internationaux (et/ou nationaux) où on va finalement "pointer" même quand on est invité car ceux qui assistent avec attention voire posent des questions sont de moins en moins nombreux car, pour des questions de rentabilité notamment, on multiplie les sessions parallèles, les présentations et on limite le temps d'exposition voire on "mange" celui des questions.
Il paraît qu'à une époque les participants recevaient bien en amont des congrès les papiers des auteurs et que l'on consacrait une majorité du temps aux échanges. Aujourd'hui, on ne retrouve souvent cet échange qu'autour d'un poster mais un poster c'est moins bien qu'une présentation pour un dossier (y compris de qualification ?) et, en plus, ces sessions poster ont lieu pendant les pauses café, en parallèle de nombreuses autres sessions, voire à des moments "inopportuns" (fin d'après-midi, début de journée, fin de congrès ou de sessions) quand elles ne sont pas reléguées dans des lieux éloignés des sessions "importantes". Mais c'était peut-être quand les impératifs scientifiques ne passent pas bien après les impératifs de rentabilité d'un congrès que ces pratiques (d'un autre âge ?) pouvaient avoir lieu.

Bref, pour moi, c'est ailleurs qu'il faut porter le fer surtout que le réflexe corporatiste transpire abondamment dans nombre des commentaires ici et que les politiques, suivis si ce n'est devancés par les médias, auront beau jeu de pointer celui-ci pour disqualifier toute alternative à leur proposition politique, cynique voire téléguidée par quelques lobbys dont vraisemblablement celui des chercheurs de profit à n'importe quel prix y compris humain puisqu'ils ne seront pas touchés par les "réformes" qu'ils pilotent depuis les coulisses.